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Marcel Bluwal, enfant du Bund et pionnier de la télévision française, la chronique de Guy Konopnicki

France.

Marcel Bluwal, enfant du Bund et pionnier de la télévision française, la chronique de Guy Konopnicki
(Crédit: DR)

Il y a des artistes dont l’enterrement occupe toutes les chaînes de télévision pendant une semaine, certains ont même droit aux Invalides ou aux Champs Elysées, avec un discours du président de la République.

Au jour de sa disparition, Marcel Bluwal a eu droit à deux minutes à la fin du 20h de France 2, un peu plus sur France Info et madame la ministre de la Culture s’est fendue d’un gentil communiqué.

Bien sûr, Marcel Bluwal était plus souvent derrière les caméras que devant. Il avait connu la télé en noir et blanc, avec une seule chaîne, à la RTF, devenue ORTF… Il avait tourné dans les studios des Buttes Chaumont et dans ceux de Joinville-le-Pont, en 35 mm pour les films, même les téléfilms, et avec ces drôles de caméras carrées pour les dramatiques en direct…

Marcel Bluwal ne racontait pas sa vie, sauf vers la fin, dans quelques entretiens, et dans un livre, Un aller. Il adaptait les grands auteurs pour la télévision, Molière, Victor Hugo, Dostoïewski, Beaumarchais, Marivaux, Feydeau, Paul Nizan, Jean Giono, et bien d’autres. Il a été l’un des inventeurs d’un  genre omniprésent aujourd’hui, la série télé, inspirée du feuilleton populaire, tout le monde se souvient de Vidocq. Ce mélomane a aussi mis en scène et filmé des opéras, Rossini, Mozart. Réalisé quelques unes des émissions cultes de la RTF et de l’ORTF, Et si c’était vous,  la Boîte à sel, l’Ecole des vedettes, et Discorama. On ne peut citer tous les acteurs qu’il a dirigé, mais tout de même, Michel Piccoli, Claude Brasseur et Louis de Funès… Quelques films de cinéma, dont le dernier, Le plus beau pays du monde, dévoilait une histoire méconnue, la disparition un acteur, sous l’Occupation. Et il avait aussi retracé, en une série documentaire, sur fond de montée de l’extrême-droite dans les années 30, les agissements d’une organisation politico-criminelle, la Cagoule…

Elle est passée bien vite, la mort de Marcel Bluwal, alors même que les polémiques sur la culture française, sur l’immigration, sur le rapport des juifs à la République, sont au centre du prologue de la campagne présidentielle.

La culture littéraire, artistique, historique, théâtrale, lyrique, cinématographique de Marcel Bluwal était proprement phénoménale. Il a passé sa vie à la partager avec ce que d’aucuns appelaient, avec condescendance, le grand public, autrement dit, le petit peuple. Il s’est fait pionnier d’un genre balbutiant, que l’on considérait alors avec méfiance, la télévision…

Il ne regardait pas de haut les gens d’en bas, Marcel, il venait à la fois d’en haut et d’en bas. Un quart de siècle nous séparait, mais nous avions en commun un quartier de Paris, entre Bastille, Nation et Daumesnil, c’est devenu chic, le Faubourg Saint-Antoine, et les anciens entrepôts de pinard de Bercy. C’est devenu mort, aussi, maintenant qu’on n’y fabrique plus les meubles, les portes, les fenêtres, les serrures, que les scieries et les imprimeries ont disparu.

Marcel Bluwal était fils de prolos, venus de Pologne. Ils avaient choisi la France et Paris, ces ouvriers juifs, élevés à l’universalisme par l’Union générale des Travailleurs Juifs, algemeiner yiddisher arbeiter Bund. Le Bund, méconnu et oublié, qui traduisait en yiddish les classiques du socialisme français et faisait lire Hugo et Zola, dont toutes les œuvres étaient également traduites et éditées en yiddish, à Wilno, Varsovie et Lemberg.

Ouvrier chez Renault, puis employé d’une fabrique de meubles du Faubourg, le père de Marcel, Henri Bluwal, lisait et parlait en quatre langues. Avec son épouse, Eda Kamienicki, il fréquentait les  artistes, le soir, à Montparnasse, dans les grandes brasseries populaires et cosmopolites, devenues depuis des bistros de luxe.

Ce couple entendait donner à son fils une éducation à faire pâlir de jalousie les gosses de riches. Il apprenait le piano, le petit Marcel. Une chance. En juillet 1942, averti par des camarades de l’imminence d’une rafle de juifs, Henri Bluwal plonge dans la clandestinité et le professeur de piano prend en charge Eda et Marcel, qu’il cache jusqu’à la Libération, chez lui.

Plus de deux ans dans une petite pièce, il a eu le temps d’en lire, des bouquins, Marcel Bluwal. Il aimait tant le cinéma et pendant de longs mois, il en fut privé. On comprend pourquoi il s’est inscrit, à la Libération, à l’école technique du cinéma de la rue de Vaugirard, et pourquoi, il s’est jeté dans l’aventure de la télévision.

Ceux qui ont porté l’excellence culturelle de la télévision française n’avaient pas tous des noms français, il y avait là Marcel Bluwal, Maurice Friedland, Maurice Dugowson, Robert Bober, Denise Glaser, Mireille Hartbuch, enfin Mireille… Et des Stellio Lorenzi, et bien d’autres encore… Les grandes heures de la télévision sont nées d’une histoire d’amour entre les enfants d’immigrés et la culture française. Enfants de réfugiés Italiens ou de juifs polonais, ils avaient souvent été privés d’école, de spectacle et de cinéma, à l’époque où ils étaient traqués, avec leurs parents, par le régime de Pétain. Sur les 819 lignes lumineuses du noir et blanc, et par la suite, en couleur, ils ont donné le meilleur à ce public invisible qui se multipliait, ils ont donné vie à ce service public d’information et de culture, que les démagogues veulent liquider.

Le pionnier de cette télévision, Marcel Bluwal, vient de mourir. 

Il méritait mieux que des nécros expédiées en fin de journal. Il reste à espérer que la Mairie de Paris donne à une place, une artère, un lieu, le nom de Marcel Bluwal, gamin de Paris, acteur, réalisateur et metteur en scène, pionnier de la télévision.

Guy Konopnicki

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