Bonjour Arié Bensemhoun, en ce jour de Yom Hashoa, vous souhaitez évoquer le combat contre la haine des Juifs aujourd’hui.
Bonjour,
Ce lundi 21 avril, une conférence s’est tenue à Tel Aviv, en présence de l’Ambassadeur de France, sous le titre “La République contre l’antisémitisme”, et elle y rassemblait plusieurs figures françaises prestigieuses, engagées dans ce combat.
Mais cette rencontre, aussi bien intentionnée soit-elle, s’est surtout révélé symptomatique de notre échec collectif à contrer l’explosion de la haine des Juifs en France.
Depuis des années, on multiplie les rapports, les colloques, les assises, les déclarations solennelles. Et à quoi tout cela nous mène-t-il ? À une impuissance ritualisée. Pourquoi ? Parce que nous continuons à penser le présent avec les outils du passé.
Notre grille de lecture est donc obsolète.
Justement, Arié, en quoi avons-nous perdu la main ?
Parce que nous nous piégeons avec les mots.
Nous restons accrochés au terme « antisémitisme », devenu trop étroit, usé, et déconnecté des formes actuelles de la haine des Juifs. Il ne s’agit plus, comme autrefois, du rejet des Juifs en tant que citoyens, ni d’une croyance pseudo-scientifique en une prétendue « race dégénérée ».
Aujourd’hui, cette haine s’exprime autrement. Elle se manifeste, de manière perverse, au nom de l’antiracisme justement.
A l’extrême-gauche et chez les islamistes, une logique aussi absurde qu’efficace s’est imposée : l’antisémitisme étant un racisme, et puisque nous luttons contre tous les racismes, alors le sionisme — présenté fallacieusement comme un racisme — devient l’ennemi. Ainsi, s’opposer au sionisme reviendrait à lutter… contre l’antisémitisme. Une inversion morale aussi grotesque que dangereuse, mais qui permet à certains de se blanchir de toute accusation d’antisémitisme qu’on leur adresse.
Depuis le 7 octobre, cette rhétorique s’est encore durcie. Une haine brutale des Juifs s’est déchaînée, dissimulée sous un soutien hypocrite à la « cause palestinienne ».
Pierre-André Taguieff parle d’« islamo-palestinisme », une idéologie hybride mêlant rejet d’Israël, haine des Juifs, et hostilité à l’Occident. Elle prospère dans certains quartiers, portée par une immigration arabo-musulmane où subsiste un antijudaïsme structurel, hérité de siècles de hiérarchies islamiques où les Juifs étaient tolérés, mais dominés, méprisés — jamais souverains, comme aujourd’hui en Israël.
Cette vision est évidemment à l’opposé des valeurs républicaines. Et pourtant, elle s’infiltre dans notre société, avec la complicité d’une extrême gauche ayant renoncé à l’universalisme, pour ne lire le monde qu’à travers des grilles identitaires et victimaires.
Cette gauche européenne, qui jadis soutenait le sionisme comme un projet d’émancipation juive, a basculé dans les années 1960, quand l’URSS a construit la cause palestinienne sur l’idéologie décoloniale. Depuis, les rôles sont inversés : le résistant juif est devenu « l’oppresseur », le terroriste islamiste, un « combattant de la liberté ».
Derrière le masque des droits de l’Homme, l’antisionisme radical est devenu la nouvelle haine des Juifs. C’est, comme le disait Vladimir Jankélévitch, une manière de « haïr les Juifs au nom de la démocratie ».
Alors Arié, que peut-on faire ?
Il faut d’abord changer de logiciel. On ne peut plus penser la haine des Juifs avec les repères de l’après-Shoah.
Parce qu’Hitler a déshonoré l’antisémitisme, selon la formule de Bernanos, et que nos politiques de dénazification et d’éducation l’ont largement marginalisé — y compris à l’extrême droite —, la haine des Juifs a dû se réinventer. Elle a pris une nouvelle forme : celle du rejet de l’État des Juifs, Israël.
Il faut donc aller plus loin : délégitimer et délégaliser cette haine. Cela signifie interdire les manifestations appelant à la destruction d’Israël « from the river to the sea », dissoudre les associations islamistes, fermer les mosquées fondamentalistes et promouvoir un Islam républicain.
Mais il faut aussi avoir le courage de reconnaître que certains courants issus de l’immigration arabo-musulmane alimentent la haine des Juifs au prétexte de la Cause Palestinienne corrompue et dévoyée. L’intégration suppose une adhésion claire à nos principes fondamentaux – la laïcité, l’égalité, et le droit d’Israël à exister.
C’est un enjeu civilisationnel. Dans l’imaginaire islamiste, les Juifs sont associés aux chrétiens, aux athées, aux laïcs, aux universalistes – aux « mécréants ».
Et dans ce contexte, le projet d’Emmanuel Macron de reconnaître un État palestinien ne ferait que renforcer l’irrédentisme de nos ennemis dans ce climat déjà nauséabond. Ce serait folie, ce serait trahir la République, ce serait jeter de l’huile sur le feu qui la consume, en offrant une victoire idéologique à ceux qui, en France, nourrissent la haine des Juifs et appellent à l’éradication d’Israël.
C’est pourquoi il devient urgent de nommer clairement cette nouvelle haine des Juifs/d’Israël. Sans ce courage, nous continuerons de perdre. Mais en changeant de regard, nous pouvons espérer y mettre un terme.
Arié Bensemhoun
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