Il y a bien des événements considérables dont je devrais parler ce matin, s’agissant de la France, de l’Ukraine, d’Israël, et des États-Unis… Mais cette semaine, je n’ai cessé de penser à ces deux gamins qui refaisaient le monde sur le boulevard Soult en rentrant du lycée Paul Valéry…
Oh, c’était une autre époque, un autre siècle, il y avait, au bout de Paris des terrains vagues et des chantiers, notre lycée avait poussé sur l’ancienne zone, en face des anciennes usines Rosengart, dont les ruines, laissaient place à une résidence de standing…Il n’y avait pas de périphérique, ni de tramway, ni de coulée verte, le petit train de la Bastille à Nogent passait encore le long du lycée et sur le chemin de fer de petite-ceinture, de longs convois de marchandises, encore tirées par des locos à vapeur enjambaient notre rue de la Voûte et le Cours de Vincennes…
Nous étions à l’automne 1965, pour la première fois les Français étaient appelés à élire le président de la République au suffrage universel…
J’avais 17 ans et je militais avec ardeur aux jeunesses communistes… L’autre gamin n’avait que quinze ans, mais il avait sauté deux classes, en raison d’une érudition déjà phénoménale, il était un des rares adhérents des jeunesses socialistes SFIO… D’autres se tournaient vers la Chine, Cuba et les Révolutions du Tiers-monde, mais la plupart de nos camarades de classe rêvaient surtout des Poupées de cire, poupées de son que chantait Isabelle, une condisciple qui venait de remporter l’Eurovision sous le nom de France Gall…
Vous vous demandez pourquoi je vous parle, aujourd’hui, d’un temps si lointain… Il se trouve simplement qu’en ce temps-là j’arpentais le boulevard Soult en compagnie d’Alexandre Adler, et que je voudrais encore parler avec lui, de la Russie et de la Chine, des émeutes de banlieue et d’Israël, du Brésil et des États-Unis, de la campagne du général Bonaparte en Égypte et du discours de Léon Blum à Tours, en 1920, du cantique des cantiques et de la poésie surréaliste, de Sartre et de Nizan, de Karl Marx et de Theodor Herzl… De tant de choses encore…
Mais… Alexandre Adler vient de mourir… Les années défilent dans ma tête…
Je me souviens de ce jour où nous nous sommes retrouvés, à la sortie du métro Porte de Vincennes… le temps du lycée s’était achevé Alexandre était en Khâgne à Louis le Grand, il s’apprêtait à passer sans effort le concours de Normale Sup, je fréquentais en dilettante la faculté de droit de la rue d’Assas, et je rentrais d’une réunion mouvementée de l’Union des étudiants communistes…
Le kiosque à journaux affichait la dernière édition de France-Soir, avec sur cinq colonnes à la Une, l’annonce de la fin d’une guerre qui n’avait duré que six jours…
- Tout de même, dit Alexandre, tu as beau pester contre l’impérialisme américain, ce soir, tu es aussi fier que moi de voir Dayan, Weizmann et Rabin entrer dans la Vielle-Ville de Jérusalem…
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