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Procès de l'attentat de Nice : le pardon et l'oubli, chronique de Michel Zerbib

France.

Nous vous proposons de larges extraits de l’intéressante plaidoirie de Maître Claudette Eleini pour les parties civiles sur le thème de l’oubli et du pardon. Les avocats ont plaidé par thèmes puis de façon individuelle pour évoquer la mémoire des 86 morts et plus de 400 blessés de l’attentat du 16 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais à Nice. Certaines dissensions sont apparues parmi eux portant sur le rôle que doit jouer un conseil de partie civiles : doit il être aussi dans l’accusation ou doit il se cantonner à la défense des victimes et de leurs familles ? La plupart des avocats ont choisi de conjuguer les deux dimensions de ce procès historique du massacre de Nice. L’avocate spécialiste des questions de sécurité et de défense a ainsi convoqué dans ses propos les philosophes Derrida et Jankelevitch pour disserter sur la question de la mémoire et du pardon. Un moment passionnant et émouvant imprégné par l’histoire de la Shoah, du procès de Nuremberg et de la notion de crime contre l’humanité. « Quoi de plus terrorisant pour des semeurs de troubles que d’ériger l’Etat de droit comme valeur démocratique face à la tyrannie ? », s’est interrogée d’emblée Claudette Eileini pour rappeler la force du droit. L’avocate a près de 48 ans de métier, sa voix est posée, douce mais claire. Elle va livrer un exposé pédagogique sur la nécessité du pardon et l’impossibilité de l’oubli. « Oui, aussi  pénible, long ou imparfait que cela puisse paraître, organiser un procès est une arme redoutable face au terrorisme car elle signifie à la face du monde que la barbarie et l’arbitraire, terreau du terrorisme, n’ont pas leur place... Au XXIème, des  femmes en Iran  se font  arrêtées, torturées, voire violées et tuées au nom d’un tribunal composé ex abrupto par le simple fait de retirer un voile pour montrer leurs visages ! », a t-elle justement rappelé à la barre en guise d’introduction. Car « ici, dans notre Etat de Droit, la Justice  a  organisé  un procès exemplaire pour juger des faits abominables, qui se sont déroulés le 14 juillet 2016, jour qui devait être une manifestation de liesse populaire … », s’est félicitée le conseil de familles victimes qui va gloser sur la question du pardon. La réparation des victimes est-elle possible face à douleur quasi indélébile ? La question s’est posée si souvent durant des trois mois et demi de procès. L’avocate s’est souvenue que « Les victimes survivantes ont décliné devant votre Cour leur multiplicité de sentiments : la haine, la colère, le désir de vengeance, l’impossibilité d’oublier, l’impossibilité de se reconstruire. Elles sont toutes confrontées à un passé qui ne passe pas.» Alors il est bon de citer un grand philosophe juif du siècle dernier Wladimir Jankelevitch, ce qu’a fait l’avocate : « L’homme qui oublie, c’est  aussi  l’homme de la désaffection, parce que tous les sentiments s’émoussent peu à peu, parce que l’homme  vieillit, parce que la capacité d’enthousiasme et d’exaltation peu à peu s’atténue et parce que l’homme va vers l’insensibilité », selon Jankélévitch. Jankélévitch s’élevait contre la prescription des crimes contre l’humanité « après quinze ans, on en veut à ceux qui ont brûlé 6 millions de Juifs mais après 20 ans, ce crime inexplicable devient expiable  comme par enchantement ». « Les crimes  contre  l’humanité  ont  été  déclarés imprescriptibles. Inoubliables. Le temps n’a pas de prise sur eux. Le temps ne gomme pas l’impardonnable.» Peut-il y avoir pardon pour les faits abominables commis le 14 juillet 2016 ? « L’auteur principal n’est plus là pour le demander, ni le recevoir. Quant aux accusés présents ici dans le box, sans préjuger aucunement de leur degré  de  responsabilité et d’implication dans le crime pour lequel vous serez amenés à rendre une décision,  nous  n’avons  perçu, jusqu’à ce jour, aucun soupçon du moindre sentiment de responsabilité, aucun retour sur soi. Aucune demande réelle de pardon. » a encore pointé l’avocate. Et des questions rhétoriques à l’appui de sa démonstration. « A-t-on  entendu  de  la  part  des  accusés  l’expression  du moindre sentiment de culpabilité ? Qui je le répète doit être dissocié du fait qu’on se sent réellement coupable. Est-ce que l’un d’entre eux s’est reproché de ne pas avoir fait ce qu’il pense qu’il aurait pu faire pour éviter le mal ? Est-ce que l’un d’entre eux a exprimé des remords ? Est-ce que l’un d’entre eux a exprimé des excuses ? Est-ce que  l’un  d’entre eux a émis des doutes sur son comportement, sur sa part de responsabilité ? » Pourtant, ces longues heures de procès auront révélé : « - La haine de certains accusés. -  Les textos appelant au meurtre -  Le trajet dans le camion la veille de l’attentat pour une balade sur le quai des Etats Unis au bout de la promenade. -  Des doigts levés comme des Daeshiens -  Un  selfie  fier  et  satisfait,  le  lendemain matin,  aux aurores,  sur  la  promenade  encore  saignante,  et  les corps non encore refroidis. -  La fourniture d’armes ; -  Le visionnage de scènes de décapitation par EI » Accablantes les preuves contre les trois principaux accusés et leurs expliqua lions lamentables pour Claudette Eleini. « Car à priori, les  accusés fréquentent Mohamed Lahouaiej Bouhlel, se voient, échangent, et comme ils l’ont tous admis rigolent ensemble, bref ont un rapport de proximité tel, qu’ils savent qu’il visualisait des vidéos djihadistes, que certains ont même relevé une attitude de l’intéressé étrange ou inhabituelle. Un pote qui demande des armes subitement, et qui sans ressources, se fournit un camion l’avant  veille du 14 juillet. » A minima, n’était-il pas logique d’émettre des remords déplore -t- elle encore et propose ces déclarations aux accusés qui baissent la tête : « J’aurais  pu  me  douter  que  Lahouaiej-Bouhlel  allait commettre un attentat ! J’aurais  pu  me  douter  qu’il  était  capable  de  la  plus grande abomination ! Si je nie que mes textos aient été une coopération ils ont pu être compris comme des encouragements. Un soutien. Pourquoi suis-je intervenu dans la fourniture d’armes. Si je n’avais pas fait cela, peut être aurais-je pu éviter ce carnage ? Oui, je suis monté dans le camion. Oui, j’ai envoyé un texto en disant « coupe les freins et je regarde ». Oui, il y avait un projet pour le 15 août. Oui, j’aurais pu me douter ? Oui j’aurais pu éviter ? » Aucun ne se sent coupable. Aucun ne se reconnait un quelconque tort, une quelconque part de responsabilité. Il y a une inversion des rôles. Les  victimes se sentent coupables. Les accusés se sentent victimes.» Alors un autre  philosophe Jacques  Derrida est citée par l’avocate: « Un pardon qui conduit à l’oubli ou même  au  deuil,  ce n’est  pas  au  sens  strict,  un  pardon. Celui-ci exige la mémoire absolue, intacte, active, et du mal et du coupable. Le pardon  requiert  la  mémoire absolument vive de l’ineffaçable, au-delà de tout travail de deuil, de réconciliation, de restauration, au-delà de toute écologie de la mémoire », selon Derrida. Selon elle «seules les victimes auraient éventuellement le droit de pardonner. Si elles sont mortes ou disparues de quelques façons, il n’y a pas de pardon possible ». On en sait plus sur le « comment » mais pas sur le pourquoi. Tout au long de ce procès qui aura duré 3 mois et demi, tout a été mis en œuvre pour expliquer le comment de l’attentat. Les dépositions, les visionnages, les  questions  aux enquêteurs. Ce procès aura permis de faire la lumière sur le comment ce crime a été commis. Comment il s’est déroulé. Décrire la nébuleuse entourant l’auteur principal de ce crime terroriste. De même si ce procès a permis de comprendre le comment du crime, il laissera en suspens la question du pourquoi ?… Le pardon dans les religions  A  propos  de  la  shoah  Jankélévitch  disait : « Ce crime contre nature, ce crime immotivé, ce crime exorbitant est donc à la  lettre un crime  « métaphysique; et  les criminels de ce crime ne sont pas de simples fanatiques, ni seulement des doctrinaires aveugles, ni seulement d’abominables dogmatiques : ce sont au sens propre du mot, des monstres. Invoquant les religions du livre l’avocate va citer les versets qui évoquent le pardon, des réponses aux maux humains: « Ô Mes serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde d'Allâh. Car Allâh  pardonne  tous  les péchés. Oui, c'est Lui le Pardonneur, le Très Miséricordieux ». (Coran 39/53) » La liturgie synagogale de Kippour commence ainsi : "Oui, j'en prends la résolution, je pardonne à ceux qui m'ont causé du tort, qu'ils l'aient fait sous la contrainte ou de plein gré, par inadvertance ou délibérément, qu'ils m'aient nui par leurs propos ou par leurs actes, à tous, quels qu'ils soient, je pardonne. La religion catholique : « Père, pardonnez leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Trois chemins  différents  proposés  par ces trois  religions pour parvenir au Pardon. Mais l’avocate se gardera bien de livrer sa version privilégiée. « A  l’échelle  de  notre  humanité, ce pardon  est  certes réconfortant mais en réalité bien difficilement applicable » préfère conclure l’ avocate septuagénaire et s’adresser à la Cour spéciale antiterroriste en ces termes : « Vous comblerez  ce  vide  en  étant les sentinelles  du souvenir de ce 14 juillet 2016 macabre pour que jamais personne n’oublie l’histoire de ces victimes. Pour que chacun soit déclaré responsable de ses actes. Si  les  moyens  de  cet  attentat  sont low cost, votre sanction ne le sera pas. Au nom de l’humanité votre cour proclamera l’interdit en tant que principe de vie. Puisque ni l’oubli ni le pardon ne sont envisageables, puisque la folie des hommes est inexplicable, Votre décision sera alors implacable. Et ce sera justice. » Michel Zerbib

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