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La soirée du 17 octobre 1961 et aujourd’hui, la chronique de Richard Prasquier

France.

La soirée du 17 octobre 1961 et aujourd’hui, la chronique de Richard Prasquier
(Crédit: DR)

Dans sa chronique ce jeudi matin à 7h10 dans le Morning sur Radio J, Richard Prasquier est revenu sur une manifestation de milliers de musulmans algériens réprimée par la police ayant conduit à plusieurs dizaines de morts en 1961.

Il s’agit d’un événement survenu il y a soixante ans. Le 17 octobre 1961 à Paris  avait lieu une manifestation d’une trentaine de mille musulmans algériens. Elle protestait contre la décision du Préfet de Police de Paris, un certain Maurice Papon, d’imposer un couvre-feu à la population algérienne de Paris et à elle seule.

La police parisienne a réagi de façon violente.

Je me souviens, ou plutôt, je ne me souviens pas de cette soirée. Rien à la radio ou à la télévision et très peu dans les journaux, dans une France  sous l’article 16 de la Constitution. Des photos et des témoignages clandestins n’ont touché que les plus militants, mais des rumeurs ont vite circulé: on aurait vu des cadavres flotter sur la Seine.

La protestation s’arrêta là et ne fut pas reprise par le FLN, qui négociait alors avec le gouvernement français. Rien à voir avec l’émotion provoquée quatre mois plus tard par les attentats de l’OAS à Paris qui vont entre autres défigurer une enfant de quatre ans, et entrainer une manifestation populaire où la charge de la police provoquera 9 morts au métro Charonne.

Si pendant vingt ans au moins, la répression du 17 octobre 1961 a été oubliée, il n’en est plus de même aujourd’hui. Les paroles du Président Macron seront scrutées avec attention, dans une période de tensions extrêmes entre la France et l’Algérie et d’une pré-campagne présidentielle où les reconstructions mémorielles occupent une place inattendue.

Les historiens évaluent aujourd’hui entre 30 et 100, et non pas plusieurs centaines, le nombre des morts, dont aucun n’était armé. Le crime est donc majeur et a été couvert par les plus hautes autorités, à commencer par le Général de Gaulle pour qui ce n’était qu’une péripétie. Loin de lui nuire, ce crime a propulsé Maurice Papon à une grande carrière ministérielle jusqu’à ce qu’il soit  mis en cause pour son rôle dans la déportation de 1600 Juifs bordelais.

Avant la manifestation, il avait assuré à ses hommes qu’il les couvrirait. Son successeur, Maurice Grimaud, dira à ses policiers en mai 68: « Si vous frappez un manifestant à terre, c’est la police tout entière que vous frappez vous-même». Et il n’y a presque pas eu de morts au cours des journées de mai 68.

Les historiens ont confirmé le racisme de certains policiers, mais aussi  leur exaspération après les attentats perpétrés contre eux par les militants FLN les semaines précédentes, quand se déroulait une guerre de l’ombre pour le contrôle de la population algérienne de Paris, et que le FLN  liquidait sans pitié ses adversaires en attribuant leur disparition à la police.

Plus tard, si le souvenir de la répression  n’a pas été mis en avant en Algérie, c’est que les chefs du FLN parisien de l’époque étaient hostiles à l’Armée des Frontières de Boumediene, cette armée qui depuis Ben Bella jusqu’aux dirigeants d’aujourd’hui a monopolisé le pouvoir dans l’Algérie indépendante, a éliminé ses adversaires et écrit l’histoire qui lui convenait.

Une histoire complexe qui n’occulte pas les fautes et les crimes, mais qui rejette la description en blanc et noir, ce n’est pas ce que le gouvernement algérien recherche. Il veut que la France mette la corde au cou, alors qu’il n’admet lui-même aucune culpabilité, ni pour les massacres de Constantine de 1955, de Melouza en 57 ou d’Oran en juillet 62, ni pour le sort atroce des harkis, pour ne citer que ces crimes-là…..Ni, bien sûr, pour cette simple injonction, la valise ou le cercueil, qui décida du destin des Algériens non-musulmans.

Mais il est vrai que c’est la répression sanglante dont la France s’est rendue coupable le 8 juillet 1945 à Sétif et à Guelma qui a été le détonateur de la révolte armée.

Les historiens français ont confirmé  que la torture  était banale et se faisait sur instructions de la hiérarchie et beaucoup d’entre eux remettent en cause sa soi-disant efficacité préventive car un homme torturé dénonce souvent des innocents. La guerre d’Algérie a été une page très sombre de l’histoire de la France, mais elle ne fait pas des divers gouvernements français les équivalents d’un régime pétainiste qui a aidé à envoyer, en connaissance de cause, des dizaines de milliers de femmes, enfants et vieillards à la mort sous le seul prétexte qu’ils étaient mal nés.

Aujourd’hui dans notre pays, la guerre d’Algérie n’est pas un sujet tabou, et les déclarations du Président Macron sur la responsabilité de la France dans la mort de Maurice Audin et dans le honteux abandon des harkis tranchent avec les frilosités antérieures.  Elles tranchent aussi avec le négationnisme qui dans le monde couvre tant de génocides ou d’épurations ethniques, à commencer par le génocide des Arméniens, et l’autre révisionnisme qui s’acharne à qualifier de nazi un ennemi politique et dont le sionisme est la cible privilégiée.

La  vérité est rarement simple et sa recherche est un risque, car Il est plus confortable de se dire outragé, de refuser toute remise en cause et de se prétendre par définition dans le camp du bien. Cette recherche est le seul moyen d’ouvrir  un espace de dialogue qui brise le « eux contre nous ».

Néanmoins, la recherche des nuances ne doit  pas  rendre sourd aux colères de ceux qui voient leur environnement se décomposer. Comme ces pieds-noirs d’Algérie qui, quand leur monde basculait, s’en étaient remis à une organisation terroriste sans perspective, des hommes et des femmes  aujourd’hui risquent, à cause des  carences successives des politiques, de s’en remettre à des tribuns manipulateurs de désespoir.

Il faut répondre à leur angoisse qui est aussi notre angoisse, il faut y répondre sans arrogance et sans complaisance...

Richard Prasquier

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