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Crise de la démocratie occidentale : le vote du non, la chronique de Barbara Lefebvre

Israël.

Crise de la démocratie occidentale : le vote du non, la chronique de Barbara Lefebvre
(Crédit: DR)

Ce vendredi matin à 7h10, l'enseignante et essayiste française, Barbara Lefebvre, était l'invitée du Morning d'Ilana Ferhadian sur Radio J. Elle est revenue sur la crise démocratique actuelle connue par de nombreux pays et notamment Israël et la France.

On entend souvent les analystes dire que les démocraties occidentales sont en crise. Il ne s'agit pas tant d'une crise de légitimité car nous savons tous que rien ne vaut la démocratie qui est le seul régime garantissant la pluralité d'opinion, la possibilité de l'alternance politique grâce à des élections démocratiques et une expression libre de l'opposition. Néanmoins, il s'agit d'une grave crise de confiance de la part de ceux-là même qui font vivre la démocratie : les électeurs, que l'on peut aussi dénommer le peuple souverain. Car c'est du peuple souverain que tout émane dans une démocratie puisque la démocratie, c'est le gouvernement du peuple par le peuple et surtout pour le peuple. Pour le peuple en effet et non pour servir un petit groupe qui défend ses propres intérêts de classe ou idéologiques. 

Or, depuis des décennies, des entités politiques ou financières supranationales ont phagocyté l'expression démocratique. Pour que le peuple soit véritablement souverain il doit "bien" voter, sinon il faut dissoudre le peuple, le diaboliser. On l'a vu en France en 2005 lors du "non" au référendum sur la Constitution européenne que tous nos dirigeants de droite et de gauche ont ignoré et méprisé.

Si la défiance envers les élites dirigeantes est si forte dans toutes les grandes démocraties occidentales, il faut peut-être aller chercher les causes de cette défiance dans ce moment unique d'expression de la souveraineté démocratique qu'est l'élection.

À ce titre, le spectacle que nous offre ces derniers jours les politiques israéliens est édifiant s’agissant de ce qui mine la confiance démocratique : on ne vote plus pour un projet ambitieux, pour une vision à long terme, on vote contre. Ici il s'agit de voter contre le maintien au pouvoir de Benjamin Netanyahu dont on peut légitimement s'interroger sa capacité politique et morale à diriger le pays mais ce n’est pas le sujet. Cette coalition hétéroclite formée par le centriste Yaïr Lapid n'a qu'un objectif en finir avec Bibi. Lapid a rassemblé des formations politiques que tout oppose tant sur le plan économique que sur la question palestinienne, sur l'organisation géopolitique de la Judée Samarie, sur les rapports religieux/laïcs. Quel est le projet ambitieux pour Israël de ce "gouvernement du changement" ? Parle-t-il de mesures pour réduire les inégalités croissantes dans le pays ? Parle-t-il de sa stratégie pour sortir du bourbier palestinien ?

Les élections américaines nous ont montré la même chose : il s'agissait pour Joe Biden de mobiliser contre Donald Trump. Le projet présidentiel de Biden n'était que secondaire. D'ailleurs on observe depuis sa prise de fonction que sur les grandes orientations économiques voire les orientations diplomatiques, Biden poursuit un certain nombre de mesures prises par Trump, qui lui-même avait repris un certain nombre d’orientations lancées par Obama.

Mais en France la situation de défiance est pire encore, car depuis 20 ans l'électeur français n'a quasiment jamais cessé d'être appelé aux urnes pour voter contre. Ainsi en 2002, après 5 ans de cohabitation avec Lionel Jospin qu’il avait battu aux présidentielles de 1995, Jacques Chirac est face à Jean-Marie Le Pen. Une situation rêvée pour être élu sans programme, sans avoir même à faire campagne ! Il fut élu avec 82 % des suffrages. En 2007, Face à Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy met une pincée de programme du FN dans sa campagne pour être élu, puis il aura cinq ans pour décevoir et trahir presque toutes ses promesses. En 2012, François Hollande est élu sur un malentendu : "mon ennemi c'est la finance" ce qui est piquant puisque son conseiller économique (puis ministre) tout au long de son quinquennat sera Emmanuel Macron dont le moins que l'on puisse dire est qu'il n'est pas l'ennemi de la finance. En 2012, Hollande a mobilisé grâce au "tout sauf Sarko", il s'agissait donc d'abord de voter contre. En 2017, la gauche mise en lambeaux par le quinquennat Hollande et la droite détruite par la primaire et l'affaire Fillon vont permettre à Emmanuel Macron de se qualifier sans programme, avec une poignée de slogans publicitaires du genre "venez comme vous êtes pour inventer le nouveau monde". Face à Marine Le Pen, Emmanuel Macron était sûr d'être élu dans un fauteuil, les Socialistes et les Républicains s’étant alors ralliés à lui. Il rassemblera 66% des suffrages au second tour.

Mais en 2022, Les Français seront-ils encore invités à voter contre ? C'est bien ce que voudrait Emmanuel Macron et c'est pourquoi il croit avoir besoin de Marine Le Pen face à lui de nouveau. Sauf que la France a beaucoup changé en cinq ans, les déceptions et les colères accumulées sont plus bouillonnantes encore. Marine Le Pen aussi a bien changé, elle fixe désormais son rythme politique sur le pouls irrégulier de cette France qui souffre, et les Français qui souffrent – à différents degrés – sont majoritaires. La question qui se pose donc est de savoir si en 2022 un ou une candidate va enfin proposer aux Français un véritable projet, ambitieux et mobilisateur, pour répondre à la crise de confiance dans laquelle nous ont enfoncé les dirigeants successifs depuis plus de 20 ans. Car les démocraties s'effondrent lorsque la confiance dans le respect du peuple électeur est bafouée suffrages après suffrages.

Souvent la leçon de courage démocratique nous vient d'Outre-Manche. Ainsi Boris Johnson a remporté une victoire écrasante aux législatives de décembre 2019 car il assumait un projet, une vision à long terme pour le Royaume-Uni, celui de réaliser le Brexit décidé par le peuple souverain britannique au référendum de 2016. "Get Brexit done" était le slogan de campagne de Bojo. Et que l'on soit ou non partisan du maintien dans l'Union européenne, il s'agissait là d'un projet d’engagement de long terme et non pas de demander aux électeurs de simplement voter contre X ou Y.

Barbara Lefebvre

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