En ce moment Écouter la radio

Tunisie: la communauté juive en danger

International.

Tunisie: la communauté juive en danger
(Crédit: Wikimédia Commons)

Une vague d'antisémitisme et de violences contre les Juifs touche la Tunisie. Deux agressions ont eu lieu ces derniers jours à Djerba. Une jeune fille de 18 ans a été étranglée par deux individus. Quelques jours plus tôt, pendant Pessah, un garçon de 8 ans a été battu.

Alors que doit débuter dans quelques jours le pèlerinage de la Ghriba, cet antisémitisme inquiète, d'autant que le pouvoir en place, à commencer par le président Khais Saied, ne cessent de stigmatiser les Juifs ces derniers mois.

Mercredi dernier, 7 avril, une jeune fille de 18 ans, Hanna Haddad, a été agressée par deux individus qui ont tenté de l'étrangler à plusieurs reprises et de nombreuses minutes. Elle se serait débattue et ses cris ont alerté les habitants qui sont venus la sauver. Les assaillants ont pris la fuite et auraient été interpellés deux jours plus tard. Contrairement à leurs versions des faits, ils n'ont pas attaqué la jeune fille pour lui voler son téléphone car elle n'en avait pas sur elle.

Quelques jours plus tôt, pendant la Pâque juive, un garçon de 8 ans a été violemment agressée, alors qu'il se rendait au centre d'étude de la Torah. Il a été tabassé par un musulman. Une plainte a été déposée auprès de la police mais sans suite pour l'instant.

Et ce n’est pas tout. Les Juifs qui vivent à Hara Kbira subissent des discriminations de la part des policiers. Selon plusieurs témoins, la police harcèle les chauffeurs Juifs depuis un certain temps. Un haut fonctionnaire de la police a même signalé à l'un des membres de la communauté, que les Juifs ne reçoivent pas les traitements appropriés pour les récentes agressions, et, que seule la pression internationale pourrait aider à changer la situation.

Ces deux actes antisémites et ces provocations régulières ont donc eu lieu dans le quartier de Hara Kbira, à Djerba, qui compterait des Juifs depuis l’époque du Premier Temple, au 10ème siècle avant Jésus-Christ. C'est là que vivent la plupart des 1 500 juifs tunisiens recensés aujourd'hui dans le pays soit 0,1% de la population tunisienne.

C'est en effet sur l'île de Djerba qu'est présente la plus importante communauté juive de Tunisie, loin devant celle de Tunis. Et c'est justement à Djerba que se déroule, chaque année, le pèlerinage de la Ghriba, un évènement qui est organisé au 33e jour de l'Omer et qui est essentiel pour les Juifs tunisiens. Il attire des milliers de Juifs du monde entier allant d'Israël, aux Etats-Unis et en Europe. Ce pèlerinage doit d'ailleurs avoir lieu du 25 avril au 2 mai cette année, si la situation sanitaire le permet, il avait été annulé l'an dernier.

A la suite de ces deux agressions et de ces discriminations, le bureau national de vigilance contre l'antisémitisme, le BNVCA, a saisi l’ambassadeur de Tunisie en France et le ministère français des affaires étrangères. Le grand rabbin de Moscou et président de la Conférence rabbinique européenne, Pinchas Goldschmidt, a déclaré que "la Conférence rabbinique européenne suit avec une grande inquiétude le harcèlement des membres de la communauté juive à Djerba ces derniers jours et observe l'inaction de la police locale".

L'inquiétude est réelle parmi les Juifs du monde entier car l'antisémitisme progresse depuis plusieurs mois en Tunisie, à commencer par les propos du président tunisien au début de cette année. En effet, en janvier, Kais Saied, élu à l'automne 2019, a accusé les Juifs de voleurs lors d'une visite d'un quartier résidentiel administratif de Tunis. La vidéo avait été diffusée sur Facebook et dévoilée par le Jérusalem Post. Dans la foulée, la présidence tunisienne a démenti ces propos, a déploré un malentendu et affirme n’avoir jamais traité les Juifs de voleurs.

Le président tunisien, incapable de gérer les multiples crises traversées par la Tunisie, accuse les Juifs d'en être responsables. Rien ne va plus dans le pays avec trois crises toutes imbriquées les unes dans les autres. D'une part, la crise sanitaire n'en finit pas: plus de 1 000 cas et 50 décès par jour ces dernières semaines, à l’heure où la campagne de vaccination n'a pas débuté. Ensuite, la crise économique, qui avait débuté avant la pandémie, est de plus en plus grave.

Le secteur du tourisme est à l'arrêt alors qu'il était bien reparti après les attentats de 2016, qui avaient fait fuir les voyageurs étrangers. Il manque au moins six milliards d'euros dans les caisses tunisiennes et le chômage, en particulier chez les jeunes, continue de progresser alors que c'est l'un des facteurs qui avait entraîné le printemps arabe il y a plus de dix ans.

Enfin, la crise politique. Une coalition gouvernementale a été formée mais l'instabilité règne. Les islamistes d'Enhahda sont majoritaires au Parlement et son président est issu de leur rang. Mais ils ne s'entendent ni avec le président ni avec le chef du gouvernement. 

C'est d'ailleurs justement au sein du parlement tunisien qu'un projet de loi incriminant une éventuelle normalisation des relations diplomatiques entre la Tunisie et Israël a été introduit en décembre dernier.

Un député issu du parti, le bloc démocratique, à l'origine du texte, avait déclaré: "Une fois adopté par le Parlement, ce projet de loi permettra de distinguer les forces nationales qui se prononcent contre la normalisation avec Israël, des traîtres et des collaborateurs". Le Premier ministre tunisien, Hichem Mechichi, avait affirmé à la même période que l'établissement de liens diplomatiques entre son pays et Israël n'était "pas à l'ordre du jour".

Et puis à l'automne dernier, il y a eu une polémique sur une chanson car c'était un duo entre un musicien tunisien et un chanteur israélien.

Le titre, "Peace Between Neighbours" (Paix entre voisins), est interprétée par l'Israélien Ziv Yehezkel, un Juif religieux qui chante principalement en arabe, et le producteur et compositeur tunisien Noamane Chaari. L'objectif était de promouvoir le dialogue et la tolérance religieuse entre les Musulmans et les Juifs. Mais la chanson n'a pas plu à un haut fonctionnaire qui a demandé le licenciement du musicien tunisien. Noamane Chaari a été menacé de mort sur les réseaux sociaux, certains demandant même son exécution.

L'antisémitisme est donc omniprésent en Tunisie. Mais hélas, ce n'est pas la première fois que la communauté juive tunisienne est en péril.

En 2002, la synagogue de la Ghriba est attaquée par un kamikaze franco-tunisien de 25 ans lié au réseau terroriste Al-Qaïda Il s’est fait exploser alors qu'il est au volant d'un camion-citerne rempli de gaz. Bilan: 21 victimes comme le rappelle une plaque déposée à l’entrée du lieu de culte. Suite à cette attaque, beaucoup de Juifs quittent la Tunisie. Un vrai choc alors que les Juifs étaient plutôt protégés depuis l'arrivée au pouvoir, en 1987, de Ben Ali et dont les relations à l'égard des Juifs et d’Israël étaient nettement plus clémentes et apaisées que durant la présidence d'Habib Bourguiba.

Les Juifs ont été des milliers à quitter la Tunisie depuis l'indépendance en 1956. Ils étaient alors plus de 100 000 dans le pays.

En effet, la crise de Bizerte entre la Tunisie et la France en 1961 concernant la rétrocession à la Tunisie d'une base navale militaire, puis, la guerre des Six jours en 1967 entraînant une flambée d'antisémitisme. Magasins Juifs pillés, incendiés, la grande synagogue de Tunis mise à sac, l’assassinat en 1971 d’un rabbin en plein cœur de Tunis.

Autant d’événements qui ont poussés de nombreux Juifs à quitter le pays. Ils ne sont plus que 12 000 au début des années 70 et dans les années suivantes, le chiffre ne cesse de baisser après de nombreux actes antisémites, surtout dans les années 80. En 1985, un soldat tunisien gardant la Ghriba de Djerba ouvre le feu sur des croyants et tue cinq personnes, dont quatre Juifs.

https://youtu.be/s40MwwbMOvU

Christophe Dard

Newsletter

Restez informé ! Recevez des alertes pour être au courant de toutes les dernières actualités.
Réagir à cet article

L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.

Inscrivez vous à la newsletter
La météo locale
Chabbat Métsora - 19/20 Avril
Tunisie: la communauté juive en danger